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Passerelles / Les cahiers / Numéro 10 - mai 2015

Pour une posture nouvelle des formateurs : la prise en compte du digital dans leur professionnalisation

Laurence Delord

Responsable du Pôle Innovation Développement à la Direction Emploi/Formation de l’UIMM

En quoi consiste votre mission ?

Je fais en sorte que notre réseau, avec ses moyens pédagogiques, techniques et organisationnels, réponde aux besoins de formation des entreprises, en utilisant les méthodes innovantes qu’elles attendent.

Pour permettre à notre réseau de s’approprier les problématiques pédagogiques actuelles, nous avons créé un Campus de formation interne : Il permet à travers des parcours de professionnalisation multimodaux (présentiel, classe virtuelle, coaching…), dédiés aux acteurs de notre réseau, et aux formateurs au premier chef, d’intégrer les nouvelles technologies et le digital dans leur quotidien et leurs pratiques.

Lié à cette intégration du numérique, le travail que je conduis sur l’ancrage de communautés de pratiques que j’ai initiées – car elles sont des lieux où émergent et s’expriment les savoirs tacites – est devenu une réalité. Pour moi, un responsable de formation aujourd’hui, c’est d’abord celui qui élabore des stratégies globales de reconnaissance (et d’émergence) de tout type de compétences, présentes et à acquérir par les salariés. Le lien avec la gestion des compétences n’en est que plus ténu. Ce rôle n’est pas nouveau, mais son périmètre s’élargit naturellement : si la vision de la formation est bien celle d’un apport de compétences et plus seulement de connaissances, le responsable de formation doit se poser obligatoirement la question des savoirs tacites. En formation traditionnelle, nous le savons, l’apport de compétences à travers les formations dites « classiques » se situe autour de 10 % alors qu’il est de 20% dans les échanges entre pairs et de 70 % pour l’activité et l’expérience… Mon rôle consiste donc à fournir au réseau les moyens d’agir sur ces aspects, bien au-delà d’une simple proposition de formation.

Cette démarche se greffe sur notre approche emplois/compétences qui veut que toute formation, à sa conception même, à travers l’identification des besoins et la validation finale – des mises en situation systématiques – construise les critères d’évaluation des compétences acquises, en fonction d’objectifs opérationnels.

Qu’est-ce qui est novateur dans cette approche ?

Notre réseau produisait déjà beaucoup en matière d’innovation, notamment pédagogique avec les IFTI (Ilot de Formation Technique Individualisée, permettant de répondre aux besoins des entreprises en juste temps et sur mesure). Il fallait lui donner les moyens d’aller plus loin. Pour y parvenir, nous mutualisons en créant des partenariats au niveau national, notamment pour les ressources sur étagère qui pourront favorablement s’intégrer dans des parcours en blended learning (Projet Voltaire, Cross-knowledge, RosettaStone, Vodeclic,…). Une fois montés, ces partenariats peuvent être déclinés et déployés dans l’ensemble de nos centres. Les formateurs ont ainsi la possibilité d’utiliser aisément ces ressources préexistantes et dont nous avons validé, avec des formateurs de nos centres, la pertinence et la qualité. La stratégie doit conduire à une cohérence de notre réseau y compris sur les moyens que permet aujourd’hui l’emprise du numérique en formation. Par exemple, il y a quelques années, chaque structure avait son LMS. Aujourd’hui, le système est centralisé et homogène pour l’ensemble du réseau. Ce qui importe est cette cohérence au- delà de l’outil… et je rappelle que nous avons tout de même 38 Pôles formation des industries technologiques…

Que proposez-vous aux formateurs dans les parcours de professionnalisation que vous avez mentionnés ?

Une précision pour commencer : dans toutes nos formations, nous avons banni les mots « maîtriser, connaître, etc. » qui, se référant à juste titre aux niveaux de la taxonomie de Bloom, ne qualifient aucunement des objectifs opérationnels. Nous préférons utiliser « accompagner… assurer du tutorat à distance… identifier des profils… ». La sémantique n’est pas qu’une forme ; elle traduit cet axe général d’une réponse formation qui est une réponse « compétences ».

Par ailleurs, nous mixons de plus en plus les publics puisque nous gérons les formations en fonction des objectifs à atteindre : par exemple, un apprenti préparant un bac Pro, qui cherche à s’approprier une compétence spécifique, pourra partager à un moment précis une action de formation avec un salarié qui doit acquérir la même compétence hors de tout diplôme. Il est donc nécessaire que le formateur puisse gérer cette hétérogénéité des publics.

L’UIMM en quelques lignes

Avec 38 pôles formation des industries technologiques, réunissant CFAI, AFPI et société de services, l’UIMM pilote le premier réseau privé de for- mations industrielles de France. Ce réseau, présent sur tout le territoire, forme chaque année près de 130 000 salariés, 40 000 jeunes en alternance et 7 300 demandeurs d’emploi.
Plus de 15 000 entreprises lui font aujourd’hui confiance.

L’UIMM en tant qu’organisation professionnelle représente 43 000 entreprises, dont plus de 90 % ont moins de 50 salariés, dans les secteurs d’activité suivants : aéronautique, spatial, défense, automobile, équipements énergétiques, électrique, électronique, numérique et informatique, ferroviaire, mécanique, métallurgie, naval.

Le parcours «Intégrer la diversité des modalités d’apprentissage à sa pédagogie » veut amener les formateurs à modifier leur posture et à intégrer l’idée, au moment de la conception de leur formation, qu’ils peuvent s’approprier de nouvelles modalités. Je cite pour exemple notre formation « Mettre en œuvre une classe virtuelle », modalité qui suppose pour le formateur de concevoir et animer différemment. Nous mettons également à disposition des parcours plus classiques, propres à notre réseau qui sélectionne les apprentis en fonction des besoins de l’entreprise : « comment sélectionner les candidats en cohérence avec les besoins de l’entreprise ? ». Bien évidemment, ces formations sont construites avec les experts du domaine concerné.

Les parcours de professionnalisation sont-ils présentiels ou à distance ?

Selon la problématique, selon les besoins, les objectifs et les contraintes, nous définissons la meilleure modalité et, dans de nombreux cas, le blended learning se révèle le mieux adapté. Une démarche qui s’applique d’ailleurs à toute formation. Nous avons un seul module en pur e-learning. La plupart sont en blended avec une valeur ajoutée dans la combinaison vidéo/questionnaire pour l’animatrice/webinar en plus du présentiel. Nous n’inventons rien, mais la valeur tient à l’ingénierie, c’est-à-dire à la combinaison des éléments. J’insiste sur une évidence parfois négligée : ne confondons pas juxtaposition et combinaison. La pédagogie impliquant une progression, la combinaison des composantes d’une ingénierie pédagogique est extrêmement réfléchie.

En fait, je m’emploie à faire changer le réseau sur sa stratégie d’offres. Que propose-t-il pour satisfaire aux besoins des entreprises puisqu’aujourd’hui on ne peut plus s’en tenir exclusivement à du présentiel ? Cela oblige nos formateurs qui, pour la plupart d’entre eux, sont également concepteurs, à revoir la conception des parcours.

J’essaie notamment de valoriser l’introduction du digital en formation, même si l’apport du ludique en formation n’est pas une nouveauté et ne se traduit pas systématiquement par un « serious game » virtuel !

Les technologies facilitent-elles le pas vers l’ingénierie retrouvée, hors catalogues ?

Je crois que les technologies permettent de faire ce pas. Mais, quel que soit le projet, il n’est pas question de s’en- tendre réclamer de « mettre du e-learning » ou du digital learning, nouveau terme qui émerge! Ça n’aurait pas de sens. Nous devons partir du besoin, des usages et de la pédagogie, non des outils. Car, derrière le e-learning, il y a les aspects organisationnels, pédagogiques puis techniques. C’est pourquoi la notion de stratégie est fondamentale, bien plus qu’il y a 20 ans par exemple. Ne laissons surtout pas les outils nous conduire. Nous avons maintenant assez de recul pour en tirer le meilleur. Je ne vois pas comment aujourd’hui un responsable formation pourrait se contenter d’un catalogue, sans regarder comment développer les compétences et capitaliser sur les échanges entre collègues et sur les savoirs tacites. Nous savons qu’on apprend plus à travers ces échanges qu’en partant en formation traditionnelle. Pour toutes ces raisons, beaucoup misent sur le social learning. On entend aussi beaucoup parler de classe inversée, de MOOC…

À mon sens, le responsable formation d’aujourd’hui doit être au cœur de tout ça. Il faut prendre un recul suffisant pour éviter les phénomènes de mode et se questionner par rapport aux besoins. Le terme qui émerge dernièrement de « learning and development manager » sur des missions de responsables formation me semble, au-delà de l’anglicisme, traduire cette réalité. En tant que représentants de la branche, notre but c’est apporter aux entreprises les compétences dont elles ont besoin. Et la formation n’est qu’une réponse parmi d’autres…

L’UIMM s’est fait connaître sur le plan pédagogique par les IFTI que vous avez cités plus haut… Pouvez-vous en dire deux mots ?

Ils étaient – et restent – des outils innovants. Ce sont des plateaux techniques qui permettent l’individualisation de la formation et facilitent l’acquisition des compétences.

Un formateur travaille avec un groupe où tous ne font pas en même temps la même chose. Selon la progression de l’apprenant, le formateur l’envoie sur un plateau technique ; il y a donc une rotation et les parcours sont modulaires. L’approche existe en présentiel mais nous pouvons profiter des opportunités qu’offrent les outils technologiques.

Comment qualifieriez-vous cette posture de formateur que vous évoquez à plusieurs reprises ?

Il passe du « sachant » au guide, au coach ; la notion d’expertise se déplace quelque peu. Il dit à l’apprenant comment chercher les réponses et l’amène à construire sa propre réponse qu’ils valideront ensemble. Pourquoi faire un cours magistral alors que l’on peut pratiquer la pédagogie inversée ou renvoyer l’apprenant vers des ressources web si le but est l’acquisition des savoirs ? Les moments présentiels seront focalisés sur la pratique et l’échange. Le formateur peut combiner, analyser, individualiser, remédier. Fournir une compétence, c’est repérer la réponse à la problématique de l’apprenant.

Finalement, notre rôle en formation, c’est d’arriver à intégrer ce qui est venu des évo- lutions de la société.

Par exemple, la formation peut être un acteur important pour combler le décalage entre les usages de la sphère du privé (facebook, tablettes…) et l’entreprise ou l’organisme de formation. Elle doit œuvrer pour le rapprochement et non rester à l’image de ce décalage. Pensons que nous parlons formation numérique, digitale alors que 20% de nos entreprises ne donnent pas accès à Internet à leurs salariés, par décision managériale.

L’intérêt, et en ce qui me concerne la passion de ce qui se passe, est que nous sommes dans une inversion du mouvement : ce n’est pas la formation qui essaime vers le monde extérieur, c’est le contraire. C’est à la fois une opportunité et un défi.