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Passerelles / Les cahiers / Numéro 10 - mai 2015

Les nouvelles approches ne sont pas une question de génération...

Chritine Vaufrey

Christine Vaufrey
Ingénieure pédagogique

Pour Christine Vaufrey, nous nous formons autrement parce que nous travaillons autrement. La rigidité des parcours n’est plus de mise aujourd’hui pour un grand nombre de salariés. Quant à l’adhésion aux outils technologiques, elle n’est pas une question d’âge mais de maturité des publics et d’acculturation de la société à la numérisation. Mais attention : la mise en ligne des ressources ne fait pas un parcours pédagogique. Le métier de formateur reste indispensable.

Les modalités pédagogiques sont en débat : les changements sont-ils imputables aux comportements des jeunes générations ou aux accélérations technologiques ?

C’est plus complexe et imbriqué que cela. Un outil, quel qu’il soit, structure une activité. La formation n’échappe pas à la règle. L’arrivée des outils numériques a modifié l’accès aux ressources. À mon sens, le phénomène a impacté les formateurs avant de toucher les apprenants. Cela dit, les dispositifs de formation sont certes en train de changer, mais le présentiel représente encore 90% du volume de la formation traditionnelle. N’y voyons pas une simple affaire de résistance. Il y a une demande très forte des apprenants pour le présentiel. Mais, dans le présentiel même, des éléments ont fait irruption qui relèvent de la vie non matérielle – j’évite volontairement le mot « virtuel » car ce que l’on fait en ligne peut être tout aussi réel que ce que l’on fait en salle ! Dans un cas, on a une table, dans l’autre un bureau numérique…

La problématique des centres de formation s’est greffée sur cette montée en puissance du numérique : ils ont rationalisé les coûts en créant des dispositifs mixtes, réduisant ainsi les journées de formation en présentiel. Enfin, l’acculturation sociétale aux outils numériques s’est réalisée très rapidement. Nous baignons donc dans un environnement qui autorise ce mix d’outils et qui, partant, nous oblige à repenser nos façons de travailler la formation.

Les nouveaux profils jeunes que l’on évoque souvent, « y ou zapping », n’auraient pas accéléré le processus, selon vous ?

Les jeunes ne sont pas les plus demandeurs de modalités mixtes ou entièrement à distance. Ils font très bien la différence entre les pratiques personnelles de loisirs /vie sociale et celles de la formation. Ce n’est pas parce que leurs modalités d’interaction ont changé qu’ils en souhaitent l’application à la formation. Nous connaissons bien l’exemple de l’enseignant qui crée sa page Facebook pour fédérer ses élèves ou apprenants et n’obtient qu’un succès limité : tout simplement parce que les jeunes créent leur propre forum et échangent entre eux.

Il n’existe pas de solution simple ni de recette facile qui imposerait une modalité plutôt qu’une autre. Les jeunes veulent un formateur et du face-à-face pédagogique. En revanche, ils abandonnent maintenant le papier/crayon et utilisent un bureau numérique. Les apprenants, jeunes ou non, vivent comme nous tous dans un monde à la fois réel et virtuel.

Quels sont les publics qui justifieraient de nouvelles modalités pédagogiques, dans ce cas ?

C’est une population moins caractérisée par son âge que par son niveau général d’occupation : multitâches, elle dispose d’un temps pour se former qui se découpe en tranches de plus en plus petites ! La concurrence entre les mille tâches quotidiennes et la formation devient donc extrêmement rude. Ces personnes souhaitent des parcours mixtes à condition qu’ils soient aménagés en tenant compte de cette caractéristique du temps contraint. D’où la construction de dispositifs avec davantage de ressources accessibles depuis une plate-forme de formation, assorties d’un suivi et d’une animation qui ne laissent pas les apprenants livrés à eux-mêmes.

Les personnes qui ont testé des dispositifs plus ouverts et plus libres cherchent bien sûr des dispositifs certifiants avec un « effet label » de l’organisme de formation. Mais, en expérimentant autre chose, elles ont modifié leurs habitudes. Par conséquent, le e-learning classique synchrone parfois les gêne : groupe constitué, horaires fixes etc. Et ça, ce n’est pas une question d’âge.

Ces nouveaux comportements questionnent la DRH : que fait le salarié quand il n’est pas dans une formation prescrite ? Peut-être se forme- t-il ? Et même davantage qu’en formation prescrite… ?

Comment les services RH peuvent-ils prendre cela en compte ?

Christine Vaufrey

En 2014, responsable pédagogique du MOOC sur l’Impressionnisme, premier MOOC culturel de France, à l’initiative d’Orange et de la Réunion des Musées Nationaux.

Co-créatrice en octobre 2012 du 1er MOOC en France.

Accompagnement d’équipes RH/Formation dans leur transformation digitale ; ingénierie pédagogique et conseil en culture numérique et problématiques d’éducation et de formation.

Responsable éditoriale du site cursus.edu (Thot cursus) jusqu’en décembre 2014.

Formatrice chez Bioforce (formation de personnel humanitaire).

C’est à inventer. Les ressources en ligne ont modifié le principe de l’entrée en formation puisqu’on peut y accéder indépendamment de son environnement professionnel. Mais, jusqu’à présent, cela ne donnait pas accès à tout ce que facilite la formation : changement de poste, promotion, augmentation ; aujourd’hui pourtant, à l’heure où les Mooc délivrent des attestations et des certifications, nous pouvons capitaliser des badges de compétences et mobiliser des portfolios comme preuve de ce que nous savons faire.

Si les changements se situent bien au-delà d’une question de génération, le critère le plus important aux yeux des jeunes dans le choix d’une entreprise, c’est la possibilité de continuer à se former au-delà de leurs études initiales. Toutes les enquêtes le montrent. Ils savent que les connaissances deviennent très vite obsolètes. Une entreprise dotée d’une politique de formation bien lisible sera très appréciée, tout comme celle qui leur laisserait la main – au moins partiellement – sur le choix de leurs formations, en s’organisant avec eux sur l’usage qui en serait fait. La formation est au premier rang des préoccupations car le diplôme comme sésame est en train de vivre ses derniers moments. Nous assistons de surcroît à la montée en puissance des compétences transversales que les entreprises gèrent à tort comme des compétences statiques alors que ce sont des compétences dynamiques qui se construisent avec le temps, au travers des changements d’environnement, des configurations d’équipe, des différents projets… Nous pourrions ajouter à nos acquis en situation de travail tous ceux que nous obtenons ailleurs, les capitaliser dans un portfolio de compétences qui serait validé par la branche, les pairs, la hiérarchie…bref, on peut imaginer bien des dispositifs pour dire ce qu’est capable de faire une personne avec preuves à l’appui.

Quelles modifications cognitives provoque la numérisation, selon vous ?

Je ne pense pas qu’Internet soit la cause des modifications constatées ; je crois plutôt qu’il rend visibles des modifications déjà engagées par ailleurs. Il est difficile de faire lire les jeunes, dit-on. Certes. Y compris dans les grandes écoles où les étudiants ne lisent plus un article de 25 pages mais lui préfèrent son résumé. Dans les publications papier, les articles ont considérablement raccourci : de plus en plus d’images et de moins en moins de textes, du témoignage plutôt que de l‘expertise. Mais je constate cet état de fait depuis longtemps, donc indépendamment d’Internet. Si certains examens à l’Université se déroulent en 1 heure et demie au lieu de 4 comme c’était le cas auparavant, c’est à mon sens imputable à la massification de l’enseignement plus qu’aux effets des technologies. Internet est une pièce d’un ensemble. Il révèle, voire systématise des tendances à l’œuvre dans la société. La nouveauté aujourd’hui tient à la rapidité de l’accès à la formation et à sa démocratisation. Mais tout ne se passe pas sans peine et l’éducation pour tous n’est pas pour demain : on se heurte encore à des filtres économiques (il faut payer pour accéder à un certain nombre d’éléments), matériels (tout le monde n’est pas équipé de façon aussi performante) et culturels (Platon, même accessible en ligne, n’intéressera pas tout le monde).

Comment voyez-vous la place du formateur ?

Les formateurs ont peur de ne plus servir à rien. Crainte infondée. Ce sont eux qui donnent le sens et guident, qui permettent d’apprendre à apprendre. Un formateur ne porte pas une bibliothèque en lui. Il est un point de repère, comme une balise sur un chemin de randonnée. Il doit utiliser le temps passé avec les apprenants à confronter les pensées et les expériences, à privilégier les interactions. On ne s’improvise pas formateur ; c’est un métier. Pour en revenir à Internet, l’outil ne fait pas la formation. Dans un Mooc, par exemple, les activités doivent être pensées pour permettre aux inscrits d’atteindre des objectifs. Il ne suffit pas d’avoir une webcam pour réaliser de jolies vidéos en oubliant le métier d’ingénierie pédagogique ! Ce n’est pas non plus parce que les jeunes ont des téléphones plein les poches qu’ils sauront se former avec cet outil-là… Vous voulez réparer votre voiture : la belle caisse à outils que vous venez d’acheter vous rendra-t-elle capable de le faire ?

Ne confondons pas non plus ressources et parcours de formation. Si un apprenant a un besoin ponctuel très précis, il trouvera sur le Net la ressource appropriée. Mais s’il aborde un apprentissage plus complexe, avec la nécessité d’articuler des notions, il sera démuni. C’est là qu’intervient le formateur.

Vous ne préconisez donc pas une modalité unique de formation ?

La clé d’une formation réussie, c’est la variété des modalités. Un solide cours de type magistral a ses vertus quand il n’est pas nécessaire de faire identifier des process. On aura même l’avantage de passer deux heures sur le sujet au lieu de quatre jours, en présence comme à distance. J’ai beaucoup pratiqué les méthodes actives et j’ai également entendu, non sans surprise, des demandes « d’un cours, bien construit, avec l’essentiel ».

Ma ligne de conduite : limiter autant que possible les contraintes non structurantes pour les apprenants et qui ne sont pas indispensables pour l’apprentissage. Si une activité réclame interactions, confrontations de points de vue, passage par le « faire », la valeur socialisante de la formation en présentiel reste inégalée. Coopérer en ligne est possible, mais c’est plus difficile. Quand il est question de travailler à deux ou quatre, avec un formateur actif, le présentiel reste la meilleure approche.