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Passerelles / Les cahiers / Numéro 10 - mai 2015

La « classe inversée » fait le buzz : effet de mode, panacée éducative… ?

Vincent Faillet

Professeur agrégé de SVT au lycée Dorian à Paris.
Chercheur en Sciences de l’Éducation

L’élève prépare le cours à la maison. En classe, il confronte ses résultats à ceux des autres. L’enseignant approfondit, explique, accompagne les élèves dans les exercices et encourage la discussion. Les universités américaines ont inversé la classe depuis longtemps. Où en est la France ? Avec quels résultats ? Questions posées à Vincent Faillet, chercheur en Sciences de l’Education.

Qu’est-ce que la classe inversée ?

C’est le passage du modèle traditionnel – transmission des savoirs en classe, exercices à la maison – à une approche inverse – savoir transmis en amont à la maison sous format numérique ou papier, phase dialoguée en classe (argumentation et explications entre pairs, approfondissement). Le rôle de l’enseignant est tout autre : il devient un accompagnateur.

Cela semble très récent en France ?

De nombreux enseignants motivés l’expérimentent depuis 2 ou 3 ans, au nom de la liberté pédagogique. C’est la Khan Academy qui a favorisé la montée en puissance de cette approche avec sa vidéo explicative sur la classe inversée. Mais on peut faire remonter cela aux années 1990 avec Eric Mazur, enseignant de physique à Harvard, voire plus tôt car diverses expérimentations inspirées de ce principe avaient déjà eu lieu. Aux États-Unis, la technologie aidant, les enseignants se sont dit qu’ils pouvaient diffuser le cours avant le regroupement en amphi qui, lui, serait utilisé différemment.

La classe inversée est-elle dépendante des technologies ?

Non, le cours peut être remis sous forme de fascicules ou de polycopiés. Dans l’Éducation nationale, les enseignants n’ont pas toujours les moyens ni la possibilité de réaliser des vidéos efficaces. Dans le cas du support papier, au lieu de prendre des notes, les élèves ont au moins affaire à un cours déjà bien écrit. Mais les technologies facilitent certainement la mise en place de la classe inversée.

À quel public s’adresse la classe inversée ?

En France, nous l’expérimentons au lycée alors qu’aux États-Unis, elle se pratique à l’université. Notamment à l’aide des boîtiers de vote qu’utilisait Mazur. Pour ma part, je l’ai mise en œuvre avec mes classes de SVT.
Mais la question sur laquelle je travaille en tant que chercheur, c’est celle de l’efficacité en termes de résultats scolaires.

Quelles sont vos conclusions ?

Rien de définitif, justement. Il y a aujourd’hui un focus médiatique sur la classe inversée. Or, la recherche va moins vite que le journal télévisé… Les critères de validation scientifique ne sont pas remplis et c’est le problème. L’article des Québécois Steve Bissonnette et Clermont Gauthier fait le point sur cette absence de validation scientifique et ils préconisent de rester… à l’endroit !

Et aux États-Unis, quels résultats ?

C’est difficile à dire parce que leurs critères d’évaluation scientifique ne sont pas aussi exigeants que les nôtres.

Les boîtiers de vote
d’Eric Mazur

Pour forcer la dialectique (dialogues et argumentation), Eric Mazur distribuait des boîtiers de vote aux étudiants de son amphi. Il leur proposait un QCM de quatre questions et les réponses des élèves, via le boîtier de vote, s’affichaient à l’écran. Ensuite, les étudiants discutaient quelques minutes entre eux de leurs résultats et refaisaient l’exercice. E. Mazur faisait voter une nouvelle fois et constatait alors l’amélioration des résultats. Il y aurait un pouvoir d’explication mutuelle des élèves qui facilite leur compréhension (voir À lire, à débattre).

Quelles conditions faut-il réunir pour que la classe inversée fonctionne ?

Je ne me permettrais pas de donner des conseils… Il n’y a pas de modèle, c’est d’abord un état d’esprit. Il s’agit de favoriser le dialogue entre élèves sur un cours qu’on leur a donné préalablement, sachant que l’acquisition se fera au mo- ment de cette phase d’échanges. L’intérêt de cette innovation, c’est qu’elle vient des enseignants. Ce ne sont pas des préconisations ministérielles même si nos autorités de tutelle sont bienveillantes à l’égard de la classe inversée. D’ailleurs, l’Académie de Paris a proposé la classe inversée au Plan Académique de Formation.

Dans la classe inversée, les élèves font-ils le travail demandé en amont ?

Pas toujours, c’est l’une des difficultés rencontrées. Ce qui est évident, c’est qu’en classe les élèves argumentent leurs réponses d’une façon plus compréhensible pour les autres que ce que pourrait dire l’enseignant. Ils ont leurs codes et savent se fournir les explications. C’est ce que montre l’expérience de Mazur (voir encadré).

Mais n’est-ce pas un manque d’exigence pour le talent de l’argumentation dont ils auront besoin plus tard ?

Je ne suis pas persuadé que le talent de l’argumentation soit travaillé aujourd’hui dans les cours, hormis en français…

Et vous-même, avez-vous expérimenté la classe inversée ?

Bien sûr. Dans deux classes de 1ère S. Les parents ont d’ailleurs reçu très positivement cette innovation. Mais je ne peux pas, à partir de mon expérimentation, tirer des conclusions générales. Je peux seulement faire état de quelques constats à mon échelle : il semblerait que les « bons » élèves, c’est-à-dire avec de bonnes notes, donc tout à fait adaptés au système traditionnel, ne bénéficient pas de la classe inversée. Les élèves moins bons ont de meilleurs résultats. Le rapport de force cognitif s’inverse.

Comment expliquez-vous cela ?

Je l’ai compris au travers des entretiens individuels semi-directifs que j’ai menés : les « bons » sont actifs pendant la leçon, écoutent, osent poser des questions. Ils disent eux-mêmes qu’ils ne revoient chez eux leurs leçons qu’au moment du contrôle. Ces élèves valorisés par le système transmissif passent, en mode inversé, de deux temps d’apprentissage – leçon en classe et contrôle – à un seul, celui du contrôle. Il faut savoir que dans la classe inversée, en début de séance, on prévoit un QCM pour vérifier si la leçon a été travaillée. Cette note de très faible coefficient s’intègre néanmoins dans la moyenne de l’élève. Les élèves en difficulté l’appellent la note facile… Du coup, ils jouent le jeu et apprennent la leçon pour obtenir des points via le QCM. Et ils passent d’un seul temps d’apprentissage en mode transmissif (celui du contrôle) à deux temps : leçon à la maison puis contrôle. Autre constat : j’ai été surpris que les élèves n’évoquent pas l’aspect dialectique dans les entretiens menés avec eux.

Est-ce pour autant inefficace pour l’apprentissage ?

Certes non. Mais je m’attendais à ce qu’ils mettent l’accent sur cette phase dialoguée, or deux d’entre eux seule- ment l’ont évoquée brièvement. J’en étais étonné. Efficace ou non, c’est apparu plus important à mes yeux qu’aux leurs. Or, j’ai fondé mon étude sur leur regard. Et le fait est qu’ils en parlent à peine.

Peut-être convient-il de ne pas rejeter systématiquement l’approche dite traditionnelle ?

C’est exactement le point de vue que je défends. Tout dépend de l’enseignant, des sujets abordés et des élèves. Il n’existe pas de méthode universelle. Au cas par cas, il faut jongler avec les outils, transmissifs ou inversés.
Il semblerait qu’en l’état actuel des choses, la classe inversée soit un bon outil de remédiation, pas une panacée éducative. Si on la généralisait aujourd’hui, les bons élèves s’adapteraient-ils à ce nouveau système ? La classe inversée s’inscrit plutôt dans le courant socio-constructiviste*. Mais, même s’il est actuellement dominant, le socio-constructivisme n’est pas non plus le prisme unique pour envisager l’apprentissage.

Alors, comment conclure ?

À partir de cette petite étude, généraliser mes constats sur la classe inversée serait un non-sens. Il nous manque des études approfondies, répondant aux critères scientifiques de validation de l’approche.
Quoi qu’il en soit, la classe inversée, tout comme les Mooc, est partie prenante d’une révolution bien plus large, celle de l’accès aux savoirs où ce sont les élèves dans le futur qui donneront le « la », j’en suis persuadé. Ils créent et construisent des forums et des pages Facebook dans lesquels ils échangent leurs explications. Sans nous. Nous assistons à un mouvement général avec un nouveau rapport à l’information qui se fait à une vitesse phénoménale. On est là dans un changement de paradigme.

Quelle est la place de l’enseignant dans ce cas. Vous disiez accompagnateur, mais encore ?

Il n’est plus celui qui va délivrer l’information. En revanche, apprendre à extraire l’information et à la comprendre nécessite l’intervention de l’enseignant. Il aide à passer de l’information à la connaissance. Les informations sont disponibles partout, mais elles ne constituent pas le savoir, ni a fortiori la connaissance.

* Le socio-constructivisme : donner à l’élève les clés pour construire lui-même ses connaissances, par expérimentations et manipulation de concepts